Du baby foot, miroir de l’âme de l’entreprise
Quelques observations (d’un piètre joueur) sur son utilisation dans divers contextes professionnels
Cliché de la “coolitude” en start-up, symbole de l’entreprise autoproclamée “libérée”, la table de baby foot fait de plus en plus partie du mobilier professionnel et déclenche autant passion que circonspection. Si brouiller les limites entre plaisir et travail peut être bénéfique, autant pour les employés que pour l’organisation, ce chemin est souvent superficiel, voire peut devenir toxique [1, 2]. Au delà des ces quelques poncifs, un simple baby foot agit souvent comme un révélateur de la culture de l’entreprise.
© Bonzini |
Pourquoi le succès du “baby”?
Entretenir l’engagement des employés est une des priorités pour toute organisation. Une fois les conditions de base remplies (conditions de travail, salaire etc.), ce sont bien sûr l’équipe et les projets qui forment le socle de cet engagement. Cependant, d’autres outils existent pour le solidifier et, parmi eux, les agents de bien-être au travail. S’ils ne sont pas la seule solution envisageable, des espaces ludiques peuvent s’avérer à la fois économiques, simples à mettre en place et efficaces.
Dans une telle équation, l’engouement pour le football de table, le kicker, le fussball, bref, le baby, est compréhensible et son aura l’emporte souvent devant des alternatives comme les fléchettes, le ping-pong ou autres consoles de jeu. Les raisons en sont multiples, mais on peut parmi elles repérer le poids de la tradition du bar populaire, terrain de mixité sociale soudainement projeté dans l’espace professionnel. De plus le principe de base est simple: il s’agit d’agiter des joueurs par le biais de barres métalliques et tenter de mettre une balle dans le but adverse. Finalement, la pratique montre comment la technique comme la chance peuvent être invoquées pour réussir.
L’agencement du jeu participe aussi à son succès. En effet, quatre personnes se retrouvent proches, face à face, dans une situation qui favorise les échanges. Si la confrontation est symbolique, l’association par équipe permet aussi se souder des groupes, de changer de perspective sur des relation professionnelles parfois tendues, de désamorcer des conflits. Hors des contraintes de projets, les discussions peuvent alors embrasser d’autres dimensions, techniques, humaines ou organisationnelles.
La table de baby devient aussi un terrain de mixité dans l’entreprise. Les cartes hiérarchiques, de genres ou de secteurs se trouvent rebattues et les leaders aux manettes ne le sont pas forcément dans l’organigramme. Cette mixité, si elle est régulière, devient alors le catalyseur de nouveaux canaux de communication pérennes, le terreau d’expérience partagées, le ferment de l’appartenance sociale.
Et très vite, une simple table peut devenir un des symboles identitaires de l’entreprise.
Un révélateur de la culture
Une fois les habitudes prises, il est surprenant d’observer à quel point ce lieu de rassemblement peut révéler des traits culturels profonds, voire faire évoluer la culture.
En tout premier lieu figure certainement l’adoption des règles. Si l’adage veut que chaque café possède les siennes [3], il est naturel d’adopter sa propre charte. En effet, les règles “traditionnelles” ont des raisons économiques (faire durer une partie) et favorisent habituellement les meilleurs techniciens (entretenant des castes de “bons” joueurs) alors qu’à l’opposé, le but devrait être d’inclure différentes populations de l’entreprise. Certains vont cependant vouloir respecter un cadre traditionnel alors que d’autres peuvent opter pour une abolition pure et simple, arguant que la liberté offre une part plus large au hasard, partant augmente les chances des joueurs les moins chevronnés. Il est tentant d’observer dans ces choix la remise en cause (ou non) de processus existants à l’aune du contexte et du but à atteindre.
Comme nous l’avons vu précédemment, l’agencement de quatre personnes, face à face autour d’une petite table, est propice au dialogue. Les discussions peuvent devenir le lieu de partage technique, de diffusion des informations transverses à l’entreprise. Si l’habitude engendre la confiance, c’est aussi un lieu où des sujets plus profonds sont abordés, voire des feedbacks personnels partagés.
Une autre dimension de la culture est aussi révélée: il s’agit du rapport à la défaite. En effet, le fait de mesurer un score induit qu’une équipe doit gagner et l’autre perdre. Certains environnements glorifient la victoire, au point de tenir à jour un tableau des victoires (et donc des défaites) les plus cinglantes. D’autres gèrent les rapports d’échecs plus sobrement et les acceptent comme faisant partie du flux naturel de la vie ensemble, le principal restant d’apprendre et de progresser ensemble. Quel rapports le groupe tient-il ? Observer ces comportements permet de juger le niveau de bienveillance effective et met en lumière des traits de caractère profonds.
Une fois les habitudes installées, le baby se transforme en un marqueur de l’entreprise. Ile devient alors un outil de recrutement, un lieu où les anciens reviennent, une ancre et une madeleine.
En pratique
Comme nous l‘avons vu, une table de baby foot est plus qu’un simple meuble. Il est tentant pour certains managers de vouloir en installer une et, par le biais de quelques incantations, d’espérer que le bonheur envahisse l’open space, qu’une lumière de créativité inonde les lieux, que les collaborateurs (re)trouvent la joie au travail. Bref, que l’entreprise se libère. Alléluia !
Il est touchant de pouvoir glaner quelques expériences ratées: table montée à l’envers dans un centre d’offshoring à Bangalore (impossible de jouer); une autre posée au milieu de l’open space d’une banque (la moindre balle résonne, empêche tout le monde de travailler et cristallise la colère); une table microscopique dans les locaux d’un géant du consulting (pour faire cool).
Ces échecs ne sont cependant pas obligatoires. D’autres expériences sont positives et participent à une transformation bienvenue. Lors de la mise en place, certaines précautions doivent être de mise. Outil au service des employés, la qualité doit être au rendez-vous: une table bas de gamme ne peut rivaliser avec un solide Bonzini, qui pourra même être brandé aux couleurs de l’organisation. L’équipement peut varier selon les régions, la table être italienne ou française, la balle en liège ou en plastique dur, les poignées rondes ou cylindriques. Se renseigner sur les préférences permettra une meilleure adoption.
Engin bruyant par excellence (par le jeu comme par les paroles), l’emplacement demande aussi quelque attention. Le lieu devra d’une part être isolé des espaces de travail, et d’autre part prendre en compte l’effet sur le voisinage.
A vous de jouer
Simple incantation ou pivot de l’entreprise ? Si l’équipe et la mission forment le socle de la vie professionnelle, pourquoi ne pas y ajouter une table de baby. Et d’observer…
Références
[1] Bienvenue dans le nouveau monde: Comment j'ai survécu à la coolitude des start-ups . Mathilde Ramadier
[2] https://www.letemps.ch/economie/startup-face-cachee-coolitude Ghislaine Bloch, Le Temps
[3] https://fr.wikipedia.org/wiki/Baby-foot
[4] https://www.challenges.fr/start-up/le-syndrome-du-baby-foot-ou-les-travers-qui-minent-l-esprit-start-up_473852
No comments:
Post a Comment